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La fois où j’ai fait 497 km et 6 heures de route pour voir Gabriel Nadeau-Dubois sous un chapiteau dans un champ, et qu’il n’était (même) pas là.

Atypic

06 juillet 2017

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La fois où j’ai fait 497 km et 6 heures de route pour voir Gabriel Nadeau-Dubois sous un chapiteau dans un champ, et qu’il n’était (même) pas là.

Le plan était simple.

Infiltrer incognito le festival Virage, fabrique d’idées pour ramener une relique du beau génie militant. Sa fourchette biodégradable, au pire. Un cheveu, au mieux.

Discuter zéro déchet, corps féministe, décroissance conviviale et maison longue; fleurs dans les cheveux et pieds nus, question de me fondre au décor Woodstock-esque.  Puis attaquer, subtilement mais sûrement, consciente d’avoir atteint un point de non-retour dans ma malade fanitude, mais non moins déterminée.

Disons que les choses ne se sont pas passées comme prévu…

Gaïa nous ayant réservé deux beaux jours de pluie, mes pieds ne sont jamais sortis de mes bottes de caoutchouc, que je bénissais à chaque pas dans la boue froide. Mon capuchon d’imper ne laissait de place à aucune autre couronne que celle de mon bandeau d’hiver en laine. Et, Gabriel n’était point là, double-déménagement oblige.

Mais bon, j’étais sur place. Les ateliers avaient l’air intéressants. La bouffe et la musique étaient bonnes. Sans compter la vue de Sainte-Rose du Nord à couper le souffle. Je me suis donc laissée prendre au jeu.

Ayant pour thème cette année la transition, la programmation de Virage était riche. Des activités pour repenser le monde avec la tête, avec le cœur et avec les mains, comme l’explique si bien Ian Segers, un des organisateurs.

Les espaces de discussion et de partage étaient diversifiés et originaux – tables-rondes, agoras, fablabs, formidable machine à solutions – question d’allier la théorie et la réflexion critique des intellectuels au pragmatisme de ceux qui sont déjà dans l’action. Et c’est probablement ce que je retiens le plus de ce brassage d’idées et de pratiques progressistes.

En plus, Gabriel l’a dit dans la vidéo qu’il avait spécialement préparée pour nous 🙂 sur les clés des campagnes de mobilisation qui fonctionnent. Un hasard si c’est en plein dans les cordes de l’Atypicienne que je suis? Je ne pense pas.

Cette capacité à articuler le concret et le pragmatisme à une analyse plus large, cette habilité à jongler entre les deux niveaux, à trouver le juste équilibre; voilà le principal défi des campagnes de mobilisation. Et la gauche, lorsqu’elle tente de mobiliser le public, a souvent tendance à se perdre et à perdre ses interlocuteurs dans de trop grandes analyses globales.

D’accord, le système est en déroute. Mais on fait quoi? On commence par quoi? Est-ce que je peux poser un premier geste concret, simple, et qui aura un impact?

En 2012, les étudiants se sont mobilisés pour bloquer la hausse des frais de scolarité prévue à l’automne (objectif concret, pragmatique, avec une date), dans une perspective de gratuité scolaire (analyse globale).

En novembre 2014, avec Doublons la mise, Gabriel appelait les citoyens à bloquer le projet d’oléoduc Énergie Est (là là, maintenant), dans une perspective de transition énergétique (analyse globale). Comment? En faisant un don pour financer la résistance, et plus si affinités.

Du haut de ses 27 ans, Gabriel compte plusieurs succès de mobilisation derrière la cravate que lui impose sa nouvelle fonction de député, et on sent à l’écouter que le militant n’est jamais  bien loin. Sa pensée est limpide. Il porte un regard critique sur des campagnes auxquelles il a lui-même participé et qui ont moins bien fonctionné, comme Élan global et The big Leap Manifesto, ou un peu plus loin, le mouvement Occupy. Ce qui l’amène à penser que, sans qu’il n’y ait de recette, les campagnes qui fonctionnent ont toutes en commun ces 3 clés :

  1. La clarté des objectifs
  2. La simplicité de l’action
  3. La responsabilisation du public

Qu’est-ce qu’on veut atteindre ou bloquer à court terme? Quelle est la date d’échéance? Une fois qu’on m’a convaincue, qu’est-ce qu’on me propose comme moyen d’agir? Est-ce facile? Rapide? Crédible? Est-ce qu’on m’invite à faire plus, à m’impliquer, à mobiliser mon réseau à mon tour?

Pour illustrer ce dernier point de la responsabilisation, de l’autonomisation et de la décentralisation de la mobilisation, il m’a fait sourire quand il a lancé, en parlant de l’initiative des assemblées de cuisine de Faut qu’on se parle organisées par les citoyens : « Faites votre boutte, mobilisez votre monde, pis on va faire notre boutte. »

Ce qui résume bien, à mon sens, les futures campagnes de mobilisation. Moins hiérarchiques, verticales et traditionnelles. Plus décentralisées, participatives et flexibles.

En terminant, parce que bon, il n’y a pas que Gabriel qui est hot, voici quelques perles entendues au courant de cette fin de semaine :  

« Ça nous est tous arrivé. Je les appelle les Oh shit moments. Ces moments où on réalise à quel point on est dans la merde, que nos enfants ne connaîtront pas le monde que nous avons connu, que nous avons atteint un point de non-retour. » Ian Segers, Université du Québec à Chicoutimi

« Moi, ça m’est arrivé dans le métro. Je lisais le livre d’un scientifique qui disait que 2030, c’était la fin. Et à ce moment précis, je me suis dit que je n’achèterais jamais de RÉER. » Une participante

« Toute ma jeunesse, on m’a dit à quel point notre monde allait dans le mur. Je me souviens d’avoir demandé à ma mère qui était ce monsieur qui avait écrit ce beau livre Poussières d’étoiles. Elle m’a dit : C’est Hubert Reeves. Il adore la planète. Mais comme les humains sont tous idiots, nous sommes en train de la tuer. Donc je n’ai pas eu de Oh shit moment, j’ai grandi dedans. Le mien a été un peu l’inverse. 2012 est arrivé, et je me suis dit : Oh! Ce n’est pas vrai tout ce qu’on nous a dit, qu’on ne peut rien changer à rien. » Une participante

« Comme le disait Ivan Illich, l’école, c’est l’agence de pub qui nous fait croire qu’on a besoin de la société telle qu’elle est. » Yves-Marie Abraham, HEC

« Lorsque la fille de David Suzuki lui a appris qu’elle était enceinte, il lui a dit : Mais réalises-tu dans quel monde elle va naître? Elle lui a alors répondu ceci, et je ne le traduirai pas parce que c’est plus fort tel quel : Dad, this is my commitment to the future. » Karel Mayrand, Fondation David Suzuki

Mine de rien, sur fond de boue, de pluie et de kombucha, Virage aura valu le détour…

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